Les visages s'effacent, les noms se perdent, les époques sombrent dans l'oubli… et pourtant, quelque chose nous hante.
Peut-on vraiment effacer le passé ? Ou reste-t-il imprimé dans nos corps, nos émotions, nos silences ?
Ce que nous croyons oublié ne disparaît jamais totalement.
Il survit dans une posture, une expression, une façon de tenir la tête, d'allumer une cigarette, de regarder le monde.
C'est ce que je cherche dans ma peinture : les traces, les ombres persistantes, les visages qui refusent de s'effacer.
L'histoire : une obsession intime
Je ne peins pas la mémoire par nostalgie , mais parce que j'ai grandi avec elle.
Enfant, je passais des heures à écouter ma grand-mère me raconter sa jeunesse, sa famille, la rudesse de la vie, mais aussi ses joies secrètes.

Ces récits n'étaient pas juste des histoires, c'étaient des fils invisibles qui me reliaient à quelque chose de plus vaste.
À l'école, l'histoire n'était pas une matière, c'était un vertige. J'avais la sensation que je pouvais toucher du doigt ceux qui avaient existé avant moi, les comprendre, presque les ressentir.
Et si je peins la mémoire aujourd'hui, ce n'est pas pour fixer le passé , mais pour lui donner une nouvelle présence.
L'esthétique d'antan : entre beauté et labeur
Si je peins la mémoire, ce n'est pas seulement pour l'émotion qu'elle porte , mais aussi pour l'esthétique qu'elle incarne.
J'aime les premières photographies , ces visages graves, figés dans une pose lente, conscients qu'ils laissent une trace.

Mais ce qui me fascine, c'est aussi le travail derrière ces images.
🔹 À une époque où tout allaitait plus lentement, chaque création demandait du temps, de la patience, de la précision.
🔹 Les matériaux avaient une âme : le bois, le cuir, le métal forgé à la main, les pigments broyés avec soin.
🔹 L'investissement humain était total. Rien n'était instantané, tout nécessitait un geste juste, un apprentissage, une transmission.
Aujourd'hui, où tout est rapide et jetable, je peins peut-être aussi pour retrouver cette intensité, cette présence dans la matière.
Nos corps portent la mémoire des autres
Nos souvenirs ne commencent pas avec nous.
Le livre J'ai mal à mes ancêtres , de Catherine Maillard et Patrice van Eersel , explore une idée troublante : les traumatismes ne se contentent pas de disparaître, ils se transmettent.
Les silences d'une génération deviennent les angoisses inexplicées de la suivante.
On hérite des visages , mais aussi des blessures, des peurs, des interdits. On hérite des rires étouffés, des gestes interrompus, des secrets mal enterrés.
Nous sommes les corps qui portent ce que d'autres n'ont pas pu dire.
Peut-être que peindre la mémoire, c'est peindre ces ombres invisibles , celles qui continuent à peser dans nos gestes sans qu'on sache pourquoi.
Quand la peinture devient une chambre d'écho
Quand je peins un visage, je ne raconte pas une histoire précise. Mais ceux qui regardent y retrouvent la leur.
C'est là que la peinture bascule.

Une œuvre ne parle jamais que de l'artiste. Elle parle de ce qui nous traverse, de ce qui nous relève.
La mémoire n'est pas personnelle, elle est collective.
Elle est cette sensation étrange de reconnaître quelque chose qu'on n'a jamais vécu.
C'est pour cela que je ne cherche pas à figer le passé, mais à lui redonner un souffle.
Peindre, un acte contre l'effacement
Nous vivons dans une époque où tout s'efface.
Les images défilent, les souvenirs se dissolvent, ce qui comptait ici ne signifie plus rien aujourd'hui.
Alors, pourquoi peindre ?
Parce que peindre, c'est ralentir.
Parce que peindre, c'est résister à l'amnésie collective.
Parce que peindre, ce n'est pas seulement représenter, c'est interroger : que reste-t-il ?
Je ne peins pas pour garder des souvenirs , mais pour poser la question :
Et si la mémoire ne disparaissait jamais vraiment ?
Avez-vous déjà ressenti un attachement inexplicable à une époque ou un lieu ?
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Elise.
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