Les Têtopèdes : quand un mur d’école devient un peuple de mémoire et d’enfance
- ladouchefroideartists
- 8 juin
- 3 min de lecture
Il arrive que les murs parlent.
Mais pour cela, il faut une étincelle, une rencontre, un souffle d’enfance, un nuage d’aérosol ... et un peu de peinture.
Depuis janvier, à l’école d’Autechaux, nous avons eu le bonheur de travailler avec 120 enfants autour d’un projet mural participatif profondément poétique et singulier.
Et avec eux, est né un peuple : les Têtopèdes.
Naissance d’un peuple mural

À l’origine, il y avait un désir : celui de créer une fresque qui ne soit pas simplement un décor, mais une co-création vivante, sensible et symbolique. Un projet où chacun artistes, enfants, enseignants puisse laisser une trace à sa mesure.
Nous avons proposé aux enfants de créer ensemble des personnages hybrides :
Les visages, peints à l’aérosol par Élise, sont inspirés de figures illustres (Marie Curie, Courbet, Colette, Pergaud…).
Les lettrages, réalisés par Nove, viennent rythmer l’espace, comme des empreintes de langage, de souffle et de mémoire.
Les corps et les décors ont été dessinés et peints à l’acrylique par les enfants, avec une liberté joyeuse, des couleurs franches, des lignes pleines d’élan.
Et c’est dans cette alliance entre technicité et spontanéité, entre maîtrise du trait et énergie brute, que sont nés les Têtopèdes.
Une idée née entre art et soin

Ce projet me tient à cœur depuis longtemps.
Il est le prolongement d’une réflexion que j’ai menée durant ma pratique en art-thérapie : j’y expérimentais parfois des moments de co-création avec les patients, où chacun intervenait dans l’espace de l’autre. De cette rencontre entre geste soignant et geste artistique est née l’envie de créer une œuvre collective, où le contraste entre la main de l’artiste et celle de l’enfant deviendrait source de richesse et non d’opposition.
Travailler avec les enfants sur ces corps dessinés face à des visages très construits, c’est convoquer le jeu, la spontanéité, mais aussi la valorisation du regard et du geste de chacun.
C’est un lien entre transmission, création, et confiance.
Les Têtopèdes, une mythologie murale
Les Têtopèdes ne sont pas de simples personnages peints sur un mur.
Ce sont des êtres d’entre-deux : entre le passé et l’avenir, entre la mémoire et l’imagination, entre l’enfant qui dessine et l’artiste qui pose la lumière.
Leur naissance est un mystère bien gardé. On raconte qu’ils sont nés d’un déséquilibre magique : leurs têtes sont trop grandes, pleines de savoirs anciens, de rêves, de fragments de livres, d’images de science et de poésie. Mais leurs corps sont petits, vifs, maladroits, comme s’ils n’avaient jamais vraiment grandi. C’est normal : ce sont les enfants qui les ont peints. Et les enfants ne dessinent jamais pour être réalistes, ils dessinent pour dire.
Chaque Têtopède porte ainsi en lui une tension magnifique : il sait beaucoup de choses, mais ne les impose jamais.
Il regarde le monde avec des yeux qui savent... et un corps qui joue.
Ils vivent dans les murs. Ils n’ont pas besoin de pieds pour marcher, car les idées voyagent sans bruit. Ils se nourrissent des questions qu’on n’ose pas poser, des gestes spontanés, des silences entre deux cours de maths. Ils se réveillent quand la cloche sonne, mais s’animent surtout quand un regard curieux les frôle.
Leur lien à l’école est profond.
Ils protègent les lieux d’apprentissage en gardant vivante l’âme du jeu. Ils savent que l’on apprend mieux quand on rit, quand on rêve, quand on se trompe. Ils n’aiment pas trop les notes, mais ils adorent les ratures.
Et surtout, ils murmurent. Des mots. Des idées. Des bribes de phrases venues de très loin.
Ces mots, souvent peints, superposés, presque cachés dans la fresque, sont comme les pensées qu’on n’arrive pas à dire tout haut, mais qui nous traversent.
Ce sont les graffitis du cœur.
Nove les a inscrits sur les murs comme on souffle un sort, en couches légères, en répétitions obsédantes. Ces mots sont autant de passerelles invisibles entre les Têtopèdes et ceux qui les regardent.
Car pour les entendre, il faut y croire. Et pour y croire, il faut être encore un peu enfant.
Un projet collectif et vivant
Travailler avec 120 enfants sur plusieurs mois fut une aventure aussi exigeante que merveilleuse. Leurs regards, leurs traits, leurs idées ont été le cœur battant de cette création.
Merci aux élèves pour leur inventivité, leur énergie, leur joie.
Merci à l’équipe enseignante pour sa confiance précieuse.
Cette fresque s’inscrit pleinement dans notre démarche : faire du mur un espace de récit, un terrain d’humanité, un miroir sensible entre l’intime et le collectif.
Et après ?

Les Têtopèdes sont désormais là.
Ils habitent le mur.
Ils attendent les prochaines récréations pour s’éveiller un peu.
Et nous, nous repartons avec une certitude renouvelée :Créer avec les enfants, c’est convoquer le présent avec les outils de demain.C’est faire de l’art un acte vivant, partagé, inoubliable.
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