Nove raconte… Épisode 1 : 1988, les murs et le chaos
- ladouchefroideartists
- 16 mars
- 5 min de lecture
J’ai 13 ans la première fois que je sors du bus qui m’emmène de Bourg-sous-Châtelet (petit village du Territoire de Belfort) à mon collège Belfortain. Le Roosevelt comme on l’appelait à l’époque.
De la gare au collège, il faut traverser le tunnel qui passe sous la voie ferrée. C’est là que j’ai vu les premiers tags de ma vie : WIZ et FLYER, tracés en noir avec une calligraphie que je n’avais jamais connue auparavant. Qu’est-ce que c’est ? Ça veut dire quoi ? Dans quel but ?
À la fin des années 80, les seules écritures qui ornent les murs sont des slogans des grèves passées, et je me souviens même de quelques vestiges de messages sur la guerre d’Algérie. À l’époque, les municipalités n’avaient pas les mêmes priorités en matière de nettoyage urbain.
Bref, je m’égare — comme souvent dans ma vie et surtout à cette époque où je ne sais absolument pas ce que sera mon futur. Je suis fils de parents divorcés, en échec scolaire, révolté et rempli de colères diverses. Je me fous de mon prochain, je ne vois pas l’avenir et ma seule préoccupation est de savoir comment me procurer des clopes et patienter encore quelques mois pour obtenir le droit de monter sur un deux-roues.
Je dessine dès que j’ai du temps perdu et à l’époque, j’en ai beaucoup. Je n’ai jamais pris de cours, pas les moyens.
Alors comme tous les gosses d’ouvriers, je fais avec les moyens du bord. Je défonce toutes les surfaces vierges qui s’offrent à mon stylo : enveloppes, annuaire téléphonique, programme télé…Je vous parle d’un temps que les moins de 40 ans ne peuvent pas connaître…
Je me rends compte de toutes ces choses qui ont disparu depuis…Je suis un combleur de vide depuis mon plus jeune âge, en fait.
WIZ et FLYER, les fantômes du tunnel
Ces deux écritures m’obsèdent. Je ne peux aujourd’hui encore expliquer pourquoi. Je pense que c’est une histoire de calligraphie sans doute. Je ne sais pas encore que cette « rencontre » visuelle va changer ma vie à tout jamais.
Comme la vie est bien faite, quelques semaines plus tard je vais avoir la chance de rencontrer les deux fantômes du sous-terrain. Mais avant de vous raconter cette rencontre, faut d’abord que je vous explique comment ça a tourné à l’obsession. Car les deux lascars ne se sont pas arrêtés juste à un espace : partout où je traîne dans la ville (Belfort c’est petit), je vois ces deux signatures.
Taillées comme des diamants, régularité parfaite, comme une photocopie.
Je veux comprendre.
Le Hip-Hop comme refuge
Un matin, dans la cour, je ne sais plus qui me dit que deux mecs du lycée vont donner des cours de danse Hip-Hop et que ça a l’air cool. Je me souviens directement de Sydney et de H.I.P… H.O.P… 1984…Ok, je vois de quoi on parle, je vais aller voir ça.
Ça se passe au gymnase entre midi et deux, et en ce jour béni je rencontre pour la première fois WIZ et FLYER. Bordel…Ils ont un style vestimentaire incroyable, une façon de bouger encore jamais vue dans ma vie de campagnard.
Je veux en être.

Je passe un samedi après-midi avec WIZ et il m’explique ce qu’est le mouvement Hip-Hop : Peace, Love, Unity and Havin’ Fun. Transformer le négatif en positif.
Quel que soit ta couleur, ta religion, ton statut social, ton sexe…Si tu acceptes les règles, tu es apte à représenter le mouvement. Pas de violence, pas de drogue, et faire de l’art au lieu de faire de la merde.
C’est pour moi, ça. Au lieu de maudire cette vie, je vais l’adorer. Je vais enfin trouver une place dans cette société que, jusqu’ici, je détestais.
Devenir Spike : remplir le vide
Je deviens Spike, et mon Crew sera FBI, Fourgon Blindé de l’Ignorance. On est 3 ou 4 au départ, je ne sais plus…
Je tag les murs du collège et je pose ma première griffe dans le tunnel sous-terrain. Comme si j’avais obtenu le bac avec mention très bien.
À l’époque, y’a pas internet mon copain, les infos circulent lentement. Mais j’apprends qu’il existe déjà un Crew FBI à Paname, créé par Darko, et qui envoie déjà du lourd.
Réunion de crise avec mes potes. Après réflexion, nous devenons les TNS : Taggueurs Nuisibles à la Société.
Te moques pas, on avait 15 piges.

Je change de blaze, je pose Natal TNS, avec EXONE, OZZY et TEDDY. Une période folle où je ne pense plus qu’au Hip-Hop.
Je continue à remplir le vide de toutes surfaces vierges à la maison, mais en plus j’ai un nouveau territoire qui s’offre à moi : la ville.
Les murs deviennent toiles
Des simples tags qui ne sont que des signatures), je passe au graff.
On ouvre notre premier spot derrière la gare, à quelques pas du collège, dans un entrepôt désaffecté d’une Coop…Même ça, ça a disparu, t’en trouves plus qu’en Suisse.
De la cave au grenier, tu ne pouvais plus y poser un tag.
Remplir le vide. Telle est ma démarche artistique.

J’ai enfin la réponse à cette question qui revient constamment chez les artistes :Quelle est votre démarche ? Moi, je sais : remplir le vide, avec des lettres, des mots, de la couleur. Rendre des murs gris en œuvres colorées avec un message positif.
Je n’ai jamais taggué sur une maison de particulier, par exemple. Mais les ponts dégueulasses de la SNCF furent une feuille parfaite pour exercer notre art.
Le mouvement explose
Le mouvement s’est rapidement développé dans la ville. En 1990, tout le monde se connaît, se croise et se côtoie. Le fort Hatry se voit recouvert de graffitis, la caserne d’en face pareil.
Tu trouves plusieurs Crews qui se taillent la bourre :MCM, TM, Duc et SOFTY en solo, Kase et State, Skuat devenu X2B que j’ai rejoint en 1991 dans le Crew TGB. Ma rencontre avec LOX la même année…

On se retrouve au Café du Rail et on fonde le FTSM (Fuck The Skin Mouvement).
On n’a pas attendu la LFI pour être anti-fachos, sauf que nous on chassait les skinheads, pas les gens qui ne pensent pas comme nous ;)
À bon entendeur…
FTSM forever.
La scène comme prolongement
1994, je vois le début de la chute du rap engagé.
MC Solaar avait déjà sorti Bouge de là depuis 3 ans, et les mecs comprennent qu’il y a de la tune à prendre.
FDP. Ils ont tué le mouvement.
Je commence à écrire des textes, et avec X2B, nous fondons le WNK. Les Wrofneckas, ma gueule.
On chante Fuck The Skins sur la place de l’Arsenal à la Fête de la Musique devant plus de 3000 personnes. J’ai 18 ans et je sens que la scène est un endroit où je me sens comme un poisson dans l’eau. C’est la prolongation de mon expression artistique.
Je continue à jouer avec les mots pour soigner mes maux.

Puis je fonde Travailleurs de l’Ombre au début des années 2000. Je partage la scène avec Daf Law et en 2003 nous sortons Premier Assaut.
Le meilleur album de rap français selon moi. Mais je ne suis pas partial, c’est moi qui l’ai fait ;)
À suivre…
Voilà pour cette première partie de ma vie artistique. J’espère que je ne t’ai ni saoulé, ni choqué, et que même si tu n’es pas d’accord avec moi, tu peux accepter le fait de ne pas l’être.
"La suite au prochain épisode…
Parce qu’avant les toiles, il y a eu les murs.
Parce qu’une histoire ne s’écrit jamais seule."
Peace. Love. Unity.
Que du bon.
Nove.
Comments