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Être mère et artiste : au cœur du réel, loin des mythes




Depuis toujours, l’histoire de l’art façonne des images tenaces. Parmi elles, celle de l'artiste maudit, bohème, dévoré par la passion, voué à la solitude tragique. Les récits du XIXe siècle regorgent de ces figures féminines fascinantes et douloureuses : Camille Claudel, Jeanne Hébuterne, tant d’autres effacées derrière les hommes ou englouties dans le romantisme noir.

Adolescente, j’ai été bercée par cette légende. On nous transmet ces modèles presque comme des fatalités : pour être artiste, il faudrait souffrir, se consumer, renoncer au réel. Et pour une femme, ce serait pire encore, à la fois muse et sacrifiée.



Mais est-ce bien là, aujourd’hui, la vérité d’être femme et artiste ?

Je n’ai jamais voulu inscrire ma vie dans ces cadres. La réalité est bien différente, plus nuancée, parfois plus exigeante, mais surtout plus libre.



Loin du mythe, au plus près du réel


Être mère et artiste, c’est accepter d’emblée des limites très concrètes.

Il y a des expositions qu’on décline, des résidences qu’on ne peut envisager, des voyages reportés. La mobilité est entravée, le temps morcelé, l’espace intime sans cesse traversé.


Longtemps, j’ai observé avec une pointe d’envie celles qui semblaient pouvoir tout embrasser : les galeries, les festivals, les projets lointains. Mais aujourd’hui, je regarde autrement.

La maternité, loin d’être un frein, est un ancrage.

Elle me protège des injonctions contemporaines – être partout, réussir vite, optimiser chaque instant – tout comme elle me garde du fantasme du génie isolé, consumé par son art.



Pas d’opposition, mais une complémentarité assumée


Je le dis sans revendication, mais avec lucidité : je ne me reconnais pas dans les discours opposant systématiquement hommes et femmes. L’histoire, bien sûr, nous montre combien les femmes artistes ont été reléguées, mises de côté, asservies même.

Mais je crois qu’aujourd’hui, la question doit être posée autrement.


Je refuse les oppositions stériles, les postures militantes qui perpétuent une guerre des genres. Pour moi, il y a une évidence : une complémentarité entre les femmes et les hommes, ancrée dans ce que chacun porte d’unique, dans leur essence même.


Ce n’est pas nier les décalages, mais les regarder sans crispation, sans volonté de domination. Et faire de ces différences quelque chose de beau, de fertile, qui nourrit la création plutôt que de l’enfermer dans des postures.


Adolescens' - acrylique sur bois 2022 - Elise Poinsenot
Adolescens' - acrylique sur bois 2022 - Elise Poinsenot


L’amour comme fil rouge


Il y a une chose que l’on évoque rarement lorsqu’on parle de l’artiste femme, mère : celle de l’amour.

Être mère, c’est faire l’expérience d’un amour radical, charnel, tangible.

Là où les mythes artistiques glorifient souvent la souffrance, le chaos intérieur, la perte de soi, je découvre qu’il existe une force plus grande : l’amour comme ancrage, comme boussole.


La peinture a, c’est vrai, quelque chose de fou. On ne devient pas peintre par raison. Il faut être prêt à se laisser happer, à s’oublier parfois dans le geste. Mais il y a ce fil d’amour, tissé dans la chair même, qui m’empêche de me perdre.


Je ne sais pas ce qu’il en est pour les pères artistes. Peut-être cette question leur est-elle moins posée, ou du moins, la société ne les oblige pas à intégrer cet amour-là dans leur posture créative.

Peut-être que le corps, traversé par la maternité, laisse une empreinte particulière.

Ce n’est pas une revendication, juste une constatation : pour moi, cet amour est une limite salutaire, un socle plus fort que n’importe quelle tentation romantique du sacrifice.



Créer, c’est aussi prendre soin


On oublie souvent que l’art, dans son étymologie même, porte la notion de soin.

Ars, c’est le savoir-faire appliqué, l’attention portée à la matière, mais aussi à l’humain. Ce n’est pas un hasard si le mot rejoint celui d’artisan, celui qui façonne avec patience, lenteur, sans précipitation.


Ce qui reste - Acrylique sur toile 2021 - Elise Poinsenot
Ce qui reste - Acrylique sur toile 2021 - Elise Poinsenot

Devenir mère agit selon le même principe : c’est un acte transformateur, un apprentissage du soin dans sa forme la plus concrète. Prendre soin d’un enfant, c’est accepter une temporalité longue, imprévisible, sans rendement immédiat.

Et c’est précisément cela qui m’a fait comprendre que l’art n’a pas besoin de répondre aux injonctions de productivité.

Je refuse cette idée qu’il faille sans cesse produire, se montrer, courir après les opportunités.

Créer, comme élever, demande parfois de ralentir, de laisser advenir. Un geste après l’autre. Un jour après l’autre.

Finalement, être mère et artiste, c’est habiter un espace où le soin devient un fil conducteur, qu’il soit donné à l’œuvre, à l’enfant, ou à soi-même.



Mémoire, filiation : une continuité naturelle


Et sans doute est-ce aussi cette expérience de maternité qui me ramène, encore et encore, à la question de la mémoire.

Être mère, c’est devenir dépositaire d’une histoire qui nous précède et que l’on transmet. Une lignée, des visages, des gestes passés qui résonnent dans le présent.


Mon père, ma mère et moi
Mon père, ma mère et moi

Je m’en rends compte aujourd’hui dans mon travail pictural.

La série Super 8, par exemple, est bien plus qu’un simple exercice esthétique autour des images d’autrefois. Elle est une manière pour moi de garder vivante cette mémoire familiale, de relier les générations, d’interroger ce que nous portons, consciemment ou non.


Chaque toile devient un fragment de ce fil invisible : entre l’intime et l’universel, entre ce qui fut et ce qui continue de vibrer en nous.


Peut-être que peindre ces souvenirs figés est, quelque part, un prolongement naturel du fait d’être mère : un acte d’attention, de transmission, de soin appliqué à la mémoire autant qu’à la vie.



Assumer la tension, choisir la liberté


Il serait facile d’idéaliser ce choix.

Mais je ne veux pas masquer la réalité : avancer à ce rythme-là, hors des attentes productivistes, signifie aussi faire face à des tensions concrètes.


Dans un monde où tout pousse à produire vite, à remplir, à vendre, ralentir peut être source d’angoisse. La question financière, les opportunités manquées, le doute sur la place qu’on occupe dans cette société qui valorise la rentabilité immédiate… tout cela est là, en arrière-plan, et il serait malhonnête de le nier.


Pourtant, malgré ces frictions, je persiste à croire que cette lenteur, ce soin, sont ma véritable richesse. Ce que je gagne n’est pas toujours visible, ni chiffrable. Mais je me sens libre. Et cette liberté, aujourd’hui, est peut-être ce qu’il y a de plus précieux.


Elise.

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